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Blaise Cendrars (1887-1961). Écrivain suisse, né Frédéric–Louis Sauser, celui qui deviendra Blaise Cendrars en 1912 a d’abord fait des études de commerce puis de médecine et enfin de lettres. Aventurier dès l’âge de seize ans il placera toute son oeuvre sous le signe du voyage et de l’exploration du monde moderne.

Son premier grand poème Les Pâques est publié en 1912 à Paris. Engagé volontaire dans la première guerre mondiale, il y perd son bras droit. Publication en 1921 de Anthologie nègre . En 1925, L’or, la merveilleuse histoire du général  Johann August Suter est son premier grand succès international.

Poète, journaliste et grand voyageur, Blaise Cendrars est un témoin de son temps. li publie après 1935 de nombreux reportages et les quatre volumes  de ses mémoires dont le fameux Bourlinguer.

"Qu'est-ce que voyager ? Courir le monde et l'admirer, à condition d'avoir quatre dromadaires ?» comme l'imagine Apollinaire dans son « Bestiaire ».

Chez Cendrars la question siffle comme une locomotive, gémit comme la sirène d'un steamer, chante comme le fil du télégraphe. Et la réponse est toujours la même : on ne voyage que pour revenir et raconter. Sans retour, sans récit de voyage plus de voyage, dès qu'on a rejoint son port d'attache il tombe dans le trou du temps. Écrire donc. Pas comme un géographe, un envoyé spécial, un témoin oculaire mais comme Ulysse qui inaugure le genre en captivant, capturant le cercle d'un auditoire suspendu à ses lèvres. Conter pour conter, sans se sentir tenu de rendre des comptes, ceux de la vérité, de la vraisemblance, du fil, soi disant nécessaires à la conduite d'une narration. Il faut se moquer de la vérité comme de la vraisemblance, exagérer ou diminuer, ne pas tenir qu'un fil mais tout un écheveau et bien embrouillé. Plus on ment, plus c'est vrai. Chez Cendrars, la bobine, la pelote dont il est le seul à maîtriser les enchevêtrements, c'est la digression.

Voyager donc, c'est lire et écrire. Lire ce qu'on voit du monde comme les livres qu'on a lus. Écrire ce qu'on a vu, cru voir, inventé peut-être afin de le rendre visible c'est-à-dire lisible au crédule, incrédule lecteur, qui sait. On peut voyager pour s'oublier (ce qu'on croit), on peut aussi voyager pour ne parler que de soi, dans le miroir du monde se mirer. Blaise parle du monde en lui et de lui dans le monde sans toujours vraiment les dissocier, encore une sorte de digression, ici intérieure. 

 Lire Cendrars à propos de voyages c'est monter dans le métro (D'Oultremer à Indigo évoque le déplacement dans Paris comme une expédition) sur une ligne, la 4 par exemple, connaître des arrêts plus ou moins prolongés en station, des redémarrages plus ou moins brutaux, traverser des tunnels, emprunter des correspondances. On ne parle jamais si bien de quelque chose qu'en parlant d'autre chose semble dire Blaise Cendrars, Frédéric Sauser de naissance, caporal Sauser à la guerre où il perdra le bras droit et la main au bout. Écrivain de main gauche,« ma main amie», mais pas gauche et bien utile pour gauchir. Par exemple dans Bourlinguer, onze chapitres autour de onze ports, celui qui est consacré à Gênes descend tout à coup jusqu'à Naples dans un mouvement express qui ne doit rien aux chemins de fer mais tout à la littérature. C'est à propos de Gênes qu'on entend une histoire autour du supposé tombeau de Virgile que la tradition localise à Naples, au Pausilippe où le bourlingueur l'aurait vu à vendre. Il y avait même, dit-il, comment vérifier ? un écriteau (inséré dans le livre), seul y manquait le nom de l'agence immobilière. Aller à Gênes pour parler de Naples et du vieux Virgile, tout Cendrars est là. C'est un lecteur qui voyage et qui écrit : « Il n'y a pas de fin à la lecture. ». Tout part des livres et aboutit à un livre : « Tout ce qui touche aux livres est magique. » et le dernier chapitre de Bourlinguer consacré à « Paris port de mer » est sous-titré « La plus belle bibliothèque du monde» . 

 C'est ça le reportage. Raconter ses voyages dans le monde et dans les livres. Parler de soi en parlant du monde, en parlant des livres. Et l'inverse, naturellement. 

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